Jean-Claude Tremblay : le héros des Nordiques, la victime de l’AMH

Deux injustices flagrantes marquent la carrière de Jean-Claude Tremblay : ses absences du Temple de la renommée du hockey et de la série du siècle en 1972. Et l’une ne serait pas étrangère à l’autre. Les causes remontent au 20 juillet 1972, à Québec.

Le défenseur de Bagotville évolue pour le Canadien de Montréal de 1960 à 1972. À sa 2e saison, on lui confie le numéro 3 de Émile Bouchard, inutilisé depuis la retraite de ce dernier en 1956. Tremblay est derrière les conquêtes de cinq Coupe Stanley, évolue dans sept matchs des étoiles, sera sur l’équipe d’étoiles à deux reprises dont la première équipe en 1971, en compagnie du plus grand, Bobby Orr. À l’été 1972, le « magicien » de 32 ans vient d’obtenir ses deux meilleures saisons offensives. Selon l’association des chroniqueurs de hockey professionnels de l’époque, il est considéré comme le 2e meilleur défenseur du hockey, ou tout juste derrière Brad Park.

Malgré ses statistiques et sa fidélité au Tricolore, à qui il appartient depuis plus de 15 ans, Sam Pollock offre à son défenseur un contrat d’un an de 60 000$. Épargné dans la valse des transfuges vers la nouvelle Association Mondiale de Hockey qui a déjà embauché 50 joueurs de la LNH, Pollock est au sommet de son arrogance. « JC » s’attendait à mieux, et avec raison.

Marius Fortier qui agit alors comme directeur-gérant des nouveaux Nordiques saisit l’occasion et réussi à convaincre ses patrons qu’il vaut 140 000 $ par année, pour 5 ans. Pollock ne bronche pas et menace de poursuivre Tremblay, l’AMH et les Nordiques.

Le 20 juillet en soirée, Jean-Claude Tremblay est à Place Laurier, joyau de Paul Racine, co-propriétaire de l’équipe et responsable de sa venue à Québec. Sa présence confirme le coup fumant devant plus d’un millier d’amateurs. Il rend crédible l’aventure que s’apprête à vivre les gens de Québec.

Il vient de signer le contrat de sa vie. Et un peu la mort de sa gloire.

La série LNH-URSS

Dès la fin avril 1972, Harry Sinden, directeur-gérant et entraineur d’Équipe Canada assure Tremblay qu’il sera de la très attendue série de huit matchs qui opposera le Canada à l’URSS. « Il n’y a rien au monde qui puisse me faire rater cette série » un duel qu’il souhaite depuis au moins 1964.

C’était avant la signature de Bobby Hull, la grande vedette de la LNH, par les Jets de Winnipeg. Dès lors, « équipe Canada » menace de devenir « équipe LNH ».

Tremblay est conscient que sa décision de joindre le circuit maudit pourrait lui nuire : « Je serais réellement déçu de ne pas affronter les Russes ».

L’AMH, qui s’était contenté de joueurs de second ordre, réussi maintenant à convaincre le gardien Gerry Cheevers et l’attaquant Derek Sanderson, deux autres joueurs prévus pour la série.

La valse des poursuites durera tout l’été. Dans cette tempête de papier, la LNH voit sa masse salariale augmenter de 30%. Comme 13 de ses 16 équipes sont américaines, plusieurs propriétaires n’en ont rien à foutre de la série Canada-URSS et menace même de retirer ses joueurs du tournoi. Rien pour aider la cause, L’AMH flirte avec l’idée d’organiser une série AMH-Tchécoslovaquie, actuel champion du monde.

Le premier ministre Pierre-Eliott Trudeau en appel à l’unité canadienne, mais en vain.

Le 3 août, Hockey Canada, flanqué de Alan Eagleson et Clarence Campbell confirme qu’elle n’utilisera pas les joueurs de l’AMH.

Jacques Plante est parmi les furieux : « Avec son style, Jean-Claude aurait mis les Russes dans sa petite poche ». « Je suis bien déçu » répétera JC Tremblay, blâmant Hockey Canada. Au début du camp d’entrainement à la mi-août, Harry Sinden est inquiet : « Nous n’avons pas nos meilleurs joueurs, il nous en manque quatre ».

On connait la suite. La série du siècle s’est réglée en faveur des joueurs de la LNH avec 34 secondes à faire au 8e et dernier match sur un but inespéré de Paul Henderson.

Le Canada n’aurait pas dû compter sur ce miracle pour l’emporter. Arrogante, la LNH a puni le pays en se passant de Gerry Cheevers, gagnant de la plus récente Coupe Stanley (Dryden a été sévèrement critiqué avec un pourcentage d’arrêt de .840), Bobby Hull, le meilleur ailier gauche au monde et JC Tremblay, indispensable en l’absence de Bobby Orr, blessé pour tout le tournoi.

Ajouter quelques buts de plus et quelques buts en moins, et vous n’avez plus besoin de miracle.

Deux ans plus tard, en 1974, Tremblay, Hull et Cheevers auront la chance d’être d’une autre version de la série du siècle. L’AMH tente le coup et utilise la même formule de huit matchs et la série commence à Québec, et non Montréal. Après un excellent match de 3-3 au Colisée, puis une victoire de 4-1 à Toronto, l’AMH ne gagnera plus, se contentant de 2 matchs nuls. Ce tournoi aura tout de même permis de constater L’excellence de ces trois joueurs, les plus dominants de la série.

Claude Larochelle, dépêché à Moscou, en témoigne ainsi : « Jean-Claude Tremblay a tellement captivé les Russes par ses manœuvres que les entraîneurs soviétiques se promettent de disséquer son jeu pour livrer la somme de cette façon de manœuvrer à leurs jeunes arrières… » À la fin de la série, on dit de lui qu’il est l’un des meilleurs défenseurs au monde.

Hull et Cheevers finiront par revenir dans la LNH et seront élus au Temple de la renommée. Tremblay a porté les Nordiques sur ses épaules pendant sept ans jusqu’à la LNH, mais son fragile genou gauche, l’ablation d’un rein deux ans plus tôt et ses 39 ans auront eu raison de sa carrière.

Et il ne sera jamais élu au Temple de la renommée.

Les journalistes Red Fisher et Bertrand Raymond, membres votant du Temple de la renommée du hockey auraient fait pression à deux reprises, en 1988 puis en 1995, après son décès, survenu le 7 décembre 1994. Âgé d’à peine 55 ans, il a été emporté par un cancer du seul rein qui lui restait.

Dans une chronique signée dans La Tribune en 1994, Guy Lafleur juge que c’est une disgrâce que « JC » n’y soit pas. « Faudrait fouiller pour voir s’il n’est pas victime d’un boycottage ».

Claude Larochelle, un de ses plus grand fan, admettait que « son franc parler et sa façon d’envoyer promener tout le monde, surtout les journalistes anglophones, lui a attiré des bosses ». Bobby Hull croit aussi qu’il ne s’est pas fait beaucoup d’amis avec son tempérament de « bougonneux » dans le vestiaire.

Rien à redire toutefois sur le joueur de hockey. Rarement puni – sa plus grande récolte en carrière aura été de 32 minutes en 1973 – il aura subit une inconduite de carrière, pour cette décision du 20 juillet 1972.

Aucun joueur n’a été plus sévèrement puni.