Qu’est-il arrivé au Panthéon des Sports de Québec ?

« Nous sommes bien déterminés à faire de ce pavillon une exposition permanente que les Québécois et les touristes dans notre ville pourront visiter à l’année longue ».

— Charles Dumais, membre de la Galerie Sportive de Québec, Le Soleil, 30 juillet 1955.

Jean Béliveau était encore très attaché à Québec. Aussi, deux ans après avoir quitté les As pour le Canadien, il lance le projet novateur d’un « Temple de la renommée » régional, en 1955, une première au pays. Inauguré à l’exposition provinciale de façon temporaire de l’été 55, le « pavillon des sports » tel qu’on l’appelait est étonnamment tombé dans l’oubli le plus complet dès 1957. Des recherches récentes nous ont permis de dénicher cette aventure et d’intéressantes découvertes autrement oubliées.

Jean Béliveau et les héros sportifs du passé.

L’idée est lancée publiquement le 5 juillet 1955 chez Dumais Ltée, propriété de l’homme d’affaires Charles Dumais, agent de Molson pour la région de Québec. On veut doter Québec d’un « pavillon des sports », à temps pour la prochaine Exposition provinciale de Québec, à la fin août. Jean Béliveau, joueur étoile du Canadien et nouvellement nommé directeur de la promotion sportive chez Molson est entouré de son confrère et ex-chroniqueur de Montréal Zotique l’Esperance et de plusieurs «sportsmen» de Québec, comme on les surnommait à l’époque, dont le président des As Jack Latter et le gérant général du club de baseball des Braves René Lemyre.

La proposition emballe les journalistes sportifs locaux. Le chroniqueur Guy Lemieux, raconte que «dans les conversations autour des tables, on pouvait alors entendre parler du bon vieux temps de la crosse, des anciennes gloires du temps des Bulldogs de Québec, des exploits passés de nos tennismen, skieurs, boxeurs, raquetteurs, etc.».

La coordination est confiée à Paul Dumont, alors gérant de «l’Aréna de l’OTJ» du Parc Victoria et dont les coups d’éclat dans le hockey sont à venir. Il reçoit et étudie les propositions de la population sollicitée.

Jean Béliveau s’implique considérablement dans son projet. Il est d’ailleurs interviewé par CFCM – TV le mardi 12 juillet «en marge du pavillon des sports qui doit être construit à Québec». Prévu au palais de l’industrie durant l’exposition provinciale, il est régulièrement mentionné qu’il sera plus tard transféré dans un local approprié. Ambitieux, on s’inspire librement du fameux Temple de la renommée du baseball à Cooperstown, dont les premières intronisations en lieu permanent ont lieu en 1939.

Plus d’une centaine de noms ont été proposés au comité de sélection, qui a choisi de privilégier «d’abord les athlètes à la retraite nés à Québec et qui se sont illustrés à Québec, puis nés à Québec et qui se sont illustrés à l’étranger et enfin, né à l’étranger, mais qui se sont illustrés à Québec».

Le Soleil du 30 juillet annonce les 11 premiers intronisés (en ordre alphabétique).

· Laurent Bernier, saut à ski.

· Alexandre Bolduc, hockey.

· Joe Cattarinich, crosse.

· Henri Coulombe, tennis.

· Victor Delamarre, homme fort.

· Conrad Delisle, multisports.

· Stewart Gillespie, golf.

· Pierre Jalbert, ski alpin.

· Joe Malone, hockey.

· Maurice « Moose » Nadeau, multisports.

· Gordon Perry, football.

Les skieurs Jalbert et Bernier étaient deux pionniers de la région aux Jeux olympiques d’hiver de Saint-Moritz de 1948. Joe Malone et Victor Delamarre ont martelé de records l’histoire de leur sport respectif. Cattarinich est reconnu par le Pavillon des sports pour ses exploits à la crosse, mais c’est en tant que bâtisseur et copropriétaire du Canadien de Montréal qu’il sera intronisé au Temple de la renommée du hockey en 1977. Le golfeur Stewart Gillespie est le deuxième champion canadien de l’histoire, en 1896, titre remporté sur le «Quebec Golf Club» des Plaines d’Abraham. Conrad Delisle a été un redoutable skieur, mais le retrait des Jeux olympiques en 1940, année de son titre canadien obtenu à Banff, lui a peut-être coûté une reconnaissance internationale.

Sara-Kim Delamarre, avec la plaque souvenir remise à son grand-oncle Raoul Delamarre des mains de Jean Béliveau, en honneur au grand Victor Delamarre, décédé quelques mois plus tôt. (photo Le Soleil, Yan Doublet).

D’autres sont des vedettes plus régionales, associées aux souvenirs récents ou à leurs mémoires, comme le gardien de but Alexandre Bolduc ou le tennisman Henri Coulombe. Aujourd’hui, peu de gens se souviennent de Maurice Nadeau, hockeyeur et athlète de tous les sports, décédé le 23 octobre 1943 en Allemagne alors qu’il pilotait un avion de reconnaissance en territoire ennemi.

L’importance d’un Temple de la renommée prend tout son sens lorsque les exploits du passé disparaissent de la mémoire collective.

Un joueur football légendaire.

La plus belle surprise de cette liste est certainement la présence de Clarence «Gordon» Perry, né à Moncton en 1903 et est décédé 100 ans plus tard à Ottawa. Il s’est illustré en football, puis en curling au point qu’il est aujourd’hui membre de quatre Temples de la renommée: ceux du football canadien (1970), du sport canadien (1975), du Nouveau-Brunswick (1975) et d’Ottawa (1967).

Tous ces sites ajoutent faussement qu’il est aussi membre du Panthéon des Sports du Québec. L’histoire a confondu la province et le «pavillon» de la Ville…

Gordon Perry, plus tard dans sa carrière. Il a habité au moins 10 ans à Québec. Son père était un professeur d’orgue reconnu à Québec.

 

Pire, son passage à Québec est complètement ignoré. Mais comme nous le rappelaient les quotidiens québécois de l’été 1955, c’est à Québec qu’il grandit et qu’il apprend les rudiments de ces sports, alors qu’il joue pour le Quebec Curling Club dès l’âge de 14 ans et au football pour le Q.S.A.C. (Quebec Swimming and Athletic Club), mieux connu sous le surnom «les Swimmers» au début des années 20. Il devient par la suite l’un des meilleurs joueurs de football au pays, détenteur du trophée Jeff Russell et capitaine du Montréal AAA, champion de la Coupe Grey en 1931.

L’ouverture du «pavillon des sports» a lieu le 2 septembre 1955, lors de la 44e Exposition provinciale. La célébration est animée par Jean Béliveau qui remet deux des 11 premières plaques honorifiques aux athlètes ou à leurs représentants. Il en sera ainsi toute la semaine.

Remise des plaques officielles, plus grandes que les plaques souvenirs, aux fils de Joe Malone et à Hector Nadeau, fils du regretté "Mosse" Nadeau.
Remise des plaques officielles, plus grandes que les plaques souvenirs, aux fils de Joe Malone et à Hector Nadeau, fils du regretté « Mosse » Nadeau.

« En ce Pavillon, il ne faut pas seulement voir une série de photos placées dans un décor somptueux accompagnées de plaques commémoratives ; mais il faut surtout y admirer les symboles qu’il représente » dira Béliveau devant les nombreux invités.

L’opération est un succès. La brasserie Molson, maitre d’œuvre de l’initiative, a toutefois un rival très actif sur place, alors que la brasserie Dow organise quotidiennement la «parade des Champions» à l’exposition provinciale, ou baigne dans la foule plusieurs vedettes sportives dont Jack Dempsey, Robert Bédard, Jean-Pierre Roy, Yvon Robert, Maurice Richard, ou encore le lutteur Paul Baillargeon.

C’est une semaine de rêve pour les amateurs de sports. Malheureusement, l’aventure semble s’évanouir à la levée des stands…

Des immortels perdus.

Le comité du Pavillon des Sports semble avoir honoré un seul autre athlète, soit le gardien des Bulldogs Paddy Moran, en mars 1956. Il est reçu sur la patinoire du Colisée pour un match des As et reçoit la plaque des mains de son ancien coéquipier Joe Malone, descendu de Montréal spécialement pour l’événement.

On retrouve une dernière mention du Pavillon des Sports, le 24 avril 1956, alors que Paddy Moran remercie ses amis chez Dumais Ltée, en compagnie de plusieurs sportifs et joueurs des As. L’ancien directeur des Bulldogs B.J. Kaine dira alors « qu’il n’y a rien comme un regard sur le passé pour réveiller l’engouement présent chez les amateurs de sport dans notre ville ».

La soirée Paddy Moran, le 8 mars 1956 au Colisée.

Ce commentaire n’aura pas l’écho escompté. Nous n’avons retrouvé aucune trace de la conclusion de l’aventure, d’un local permanent en construction et de nouvelles intronisations.

L’enthousiasme dégonflé s’explique peut-être ainsi: l’homme d’affaires Charles Dumais en a plein les bras en tant que responsable des finances du nouveau Carnaval de Québec, et il occupera même sa présidence en 1957. Jean Béliveau est sollicité plus que jamais en 1956 avec la conquête d’une première de cinq Coupes Stanley consécutives, les titres du meilleur compteur et du joueur le plus utile de la LNH.

Cette année-là marque aussi la consécration du nageur Jacques Amyot à titre d’athlète de l’année à Québec, un premier hommage du genre qui perdure depuis 65 ans. Les «Sportsmen» de Québec ont peut-être choisi leur combat, soit celui de reconnaitre les exploits du jour plutôt que ceux d’hier.

Enfin, un pavillon des sports à Québec ?

Partout dans le monde, des Temples de la renommée relatent et célèbrent les exploits de ses héros. Partout au Canada, dans chaque province et dans la plupart des grandes villes, mais pas à Québec.

La société d’histoire du Sport de la capitale nationale a dans ses cartons le projet d’un «panthéon des sports», et des discussions sont en cours avec la Ville de Québec. Cette dernière évalue actuellement quelques scénarios. Nul doute que les Sylvie Bernier, Gaétan Boucher et Pierre Harvey méritent d’être des immortels du sport de la région. Il est aussi dans notre intention de poursuivre le travail du groupe du milieu des années 50 et de permettre à ses 12 premiers intronisés d’obtenir enfin un domicile permanent.