Il y a 50 ans, le grand Jean Béliveau rejetait finalement une offre mirobolante des Nordiques de Québec pour revenir au jeu dans la ville qu’il aimait tant. Voici le récit des événements, d’abord raconté dans le livre « Jean Béliveau, la naissance d’un héros » aux éditions Sylvain Harvey.

Le 18 juin 1973, une nouvelle a suscité des sourires chez certains et fait rêver d’autres : les Nordiques de Québec ont placé le nom de Jean Béliveau sur leur liste de protection. Cela signifie que s’il veut jouer dans l’Association Mondiale de Hockey (AMH), un nouveau circuit professionnel, ce sera à Québec.
À l’âge de 42 ans, retraité depuis le printemps 1971 et maintenant vice-président administratif du Canadien, il n’a jamais laissé entendre qu’il s’ennuyait du jeu. Un détail qui ne dérange pas le nouveau directeur général des Nordiques, Jacques Plante, son ancien coéquipier au Canadien pendant près de 10 ans. Marius Fortier avait déjà tenté d’attirer Béliveau dans l’organisation pour un poste administratif. Cette fois, Plante affirme déjà qu’il utilisera le « Gros Bill » lors des jeux de puissance, car c’est à cette position qu’il se fatigue le moins. « De plus, comme il est un excellent manieur de bâton, je pourrais le faire jouer pendant les désavantages numériques ».
Au même moment, le légendaire Gordie Howe quitte son poste de vice-président des Red Wings de Détroit pour accepter un contrat de 4 ans et d’un million de dollars avec les Aeros de Houston de l’AMH. Gordie avait également pris sa retraite en 1971 et était deux ans plus âgé que Béliveau. De plus, les deux légendes sont représentées par le même agent, Gerry Patterson. Ils sont d’ailleurs porte-parole de la Banque de la Nouvelle-Écosse.

Il est vrai que Béliveau n’a pas, comme Gordie, la motivation de jouer avec ses deux fils. Mais un retour au jeu à Québec, la ville qu’il dit tant aimer, la ville de son épouse et de ses premiers succès, ajoute au suspense.
Le président du Canadien, Me Jacques Courtois, se précipite pour le rencontrer et connaître sa position. « Fondamentalement, je ne suis pas intéressé à effectuer un retour au jeu », répond-il au quotidien Le Soleil. « Mais en affaires, il est normal d’au moins avoir la courtoisie d’écouter les propositions qu’on te fait. Je ne crois pas que ce soit simplement un ballon publicitaire ». Jean Béliveau, comme 20 ans plus tôt dans ses négociations avec le Canadien, ne ferme aucune porte.
Si la LNH n’aime pas cette ligue concurrente, il en va de même pour le Canadien envers les Nordiques : en un an, ils ont failli leur voler Guy Lafleur, ils ont embauché Maurice Richard comme entraîneur et ont réussi à dérober – avec plus de succès – leur défenseur vedette Jean-Claude Tremblay. Depuis le début de l’été 1973, le Tricolore a perdu ses attaquants Marc Tardif pour les Sharks de Los Angeles, Frank Mahovlich pour les Toros de Toronto et les Nordiques négocient depuis le printemps avec Guy Lapointe et Réjean Houle.
Le journaliste André Trudelle de La Presse est l’un des optimistes. La guerre que se livrent les deux ligues profite enfin aux joueurs et il croit que, comme d’autres, Béliveau sera attiré par l’appât du gain. « C’est le temps ou jamais. Ce sera dur de retourner au hockey, mais s’il trouve à la fois la sécurité et la satisfaction de ce qu’il fait, nous pensons que si l’offre des Nordiques est valable, Jean ira à Québec ».

La rencontre entre les Nordiques et le clan Béliveau a lieu le 6 juillet à l’hôtel Hilton de Dorval. Jacques Plante est accompagné du président des Nordiques, Paul Racine, un riche homme d’affaires derrière la construction de plusieurs centres commerciaux, dont Place Laurier. C’est un ami de Jean qui remonte au temps des Citadelles et avec qui il buvait une bière de temps en temps.
Béliveau n’en croit pas ses oreilles. Ce contrat ferait de lui le joueur de hockey le mieux payé au monde, plus que tout ce qu’il a gagné en 18 ans avec le Canadien.
L’agent de Béliveau, Gerry Patterson, offre une réaction colorée : « Vous écoutez lorsqu’ils vous offrent la moitié d’une banque ».
Dans son livre autobiographique publié plus de 20 ans plus tard, Béliveau parle d’un contrat garanti de quatre ans, pour plusieurs millions. L’agence de presse UPI détaille sa conception ainsi : un million de dollars la première année pour jouer et les trois autres saisons au choix, comme joueur ou administrateur au sein de l’organisation. Une saison d’efforts physiques, pour autant d’argent, lui font dire quelques mois plus tard à un quotidien new-yorkais qu’il a « sérieusement songé à revenir au jeu » avant d’ajouter, du même souffle, « pendant 3 ou 4 jours »…
Le 10 juillet, plus de 20 jours après l’ajout de son nom sur la liste de protection des Nordiques, Jean Béliveau annonce qu’il rejette l’offre « très généreuse et attrayante » de Paul Racine et Jacques Plante, à la suite d’une rencontre avec la direction du Canadien avec qui il dit avoir passé en revue ses possibilités futures au sein de l’organisation des Canadiens. Une fois de plus, Québec et son club de hockey lui permettent de jouer cette carte.
Paul Racine qualifie sa réponse « d’intelligente ». « Nous avons fait ce que nous croyons être le mieux pour les Nordiques. Cette décision n’entachera en rien notre amitié et je ne ferai rien pour le faire changer d’avis ».
Les Nordiques chatouilleront tout de même le Canadien cet été-là. Ils ont finalement réussi à mettre la main sur Réjean Houle, qui s’entendra pour un contrat de 3 ans qu’il honorera avec les Nordiques.
Marc Durand
